La déportation de Manon - Texte

Modifié par Lucieniobey

Des Grieux a décidé de suivre Manon en exil en Amérique. Accepté à bord d'un navire en tant que volontaire pour la colonie, il obtient des conditions de voyage favorables pour lui et Manon grâce à la bienveillance du capitaine.

Je n’eus point de peine à me faire recevoir dans le vaisseau. On cherchait alors des jeunes gens qui fussent disposés à se joindre volontairement à la colonie. Le passage et la nourriture me furent accordés gratis. La poste de Paris devant partir le lendemain, j’y laissai une lettre pour Tiberge. Elle était touchante et capable de l’attendrir sans doute, au dernier point, puisqu’elle lui fit prendre une résolution qui ne pouvait venir que d’un fond infini de tendresse et de générosité pour un ami malheureux.

Nous mîmes à la voile. Le vent ne cessa point de nous être favorable. J’obtins du capitaine un lieu à part pour Manon et pour moi. Il eut la bonté de nous regarder d’un autre œil que le commun de nos misérables associés. Je l’avais pris en particulier dès le premier jour, et, pour m’attirer de lui quelque considération, je lui avais découvert une partie de mes infortunes. Je ne crus pas me rendre coupable d’un mensonge honteux en lui disant que j’étais marié à Manon. Il feignit de le croire, et il m’accorda sa protection. Nous en reçûmes des marques pendant toute la navigation. Il eut soin de nous faire nourrir honnêtement, et les égards qu’il eut pour nous servirent à nous faire respecter des compagnons de notre misère. J’avais une attention continuelle à ne pas laisser souffrir la moindre incommodité à Manon. Elle le remarquait bien, et cette vue, jointe au vif ressentiment de l’étrange extrémité où je m’étais réduit pour elle, la rendait si tendre et si passionnée, si attentive aussi à mes plus légers besoins, que c’était, entre elle et moi, une perpétuelle émulation de services et d’amour. Je ne regrettais point l’Europe. Au contraire, plus nous avancions vers l’Amérique, plus je sentais mon cœur s’élargir et devenir tranquille. Si j’eusse pu m’assurer de n’y pas manquer des nécessités absolues de la vie, j’aurais remercié la fortune d’avoir donné un tour si favorable à nos malheurs.

Après une navigation de deux mois, nous abordâmes enfin au rivage désiré.

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